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12/02/2011

Parashat Tetzavé

Parashat Tetzavé


L’habit fait le prêtre ?


Notre parasha continue la précédente concernant le sanctuaire construit dans le désert (mishkan) et précise la nature des vêtements des prêtres, des kohanim, de leur sacerdoce et responsabilités, puis du devoir de construire un autel pour la combustion des parfums.



C’est la vie ou l’habit ?


Parfois, les vêtements sont définis par l’homme, alors que d’autres, ils le définissent.

Les habits que l’homme crée sont le symbole de la civilisation humaine. Ils préservent le corps du froid et autres dégâts. Ils l’ornent et sont insignes de majesté. Ils rendent unique son statut, son travail et son rôle. Sans eux, l’homme ressemble à un animal sauvage, primitif.


Toutefois, au delà de ce degré, il en est un autre : des habits qui font l’homme. Ils changent sa personnalité, l’améliore ou au contraire la détériore. Par exemple, le fait de revêtir un costume militaire change automatiquement le comportement, tantôt pour le mieux, tantôt pour le pire et parfois un peu des deux mélangés. Lorsqu’un juif s’habille, le matin, de ses tzitzit - et s’identifie de toute son âme avec cet acte et sait le considérer à sa juste valeur – il ressent qu’il ne s’agit pas uniquement d’un acte physique, mais également d’un acte spirituel : son âme aussi se revêt de lumière Divine qui commence même à se propager sur la Terre et ses habitants.

«Tu T’enveloppes de lumière comme d’un manteau, tu déploies les cieux comme une tenture»[1].
L’homme s’enveloppe, d’une certaine manière, de “l’ombre des ailes“ de la Présence Divine, tel un oisillon dans son nid, au-dessus duquel survole l’aigle protecteur de tout ennemi potentiel non seulement physique, mais surtout psychologique.

« Combien précieuse est ta grâce, ô D’ ! Les fils de l’homme s’abritent à l’ombre de tes ailes » [2].


L’offrant et l’offrande


Les habits des kohanim ont moins pour but la particularité de marquer leur identité et leur rôle [3], ils ne sont pas uniquement insignes extérieurs d’honneur et de majesté aux yeux du prochain, que de marquer principalement un but supérieur : « afin de le consacrer à mon sacerdoce »[4].

Les vêtements les sanctifient, ils les rendent prêtres, les définissent comme kohanim. Sans ceux-ci, ils sont considérés comme inaptes au service et comme étrangers. « Leurs habits ne sont pas sur eux, leur prêtrise n’est pas sur eux »[5]. Plus encore, les vêtements mêmes ont un but cathartique tout autant que les sacrifices, tel que l’exprime le Talmud [6] :

« Rabbi Anani fils de Sasson dit : … de la même manière que les sacrifices expient, ainsi les habits des prêtres expient. La tunique à maille expie le versement de sang… les pantalons, l’adultère… la tiare expie les grossiers… l’écharpe, les pensées [interdites] du cœur… le pectoral, les jugements [erronés]… l’éphod expie l’idolâtrie… la robe, la médisance… la plaque d’or expie les actes “culotés“ ».

Comment ça marche ?


L’idée principale est que l’offrande rapproche l’homme de D’. Le sacrifice (korban) vient de la racine hébraïque rapprocher (lekarev). L’homme doit se sacrifier, se sanctifier, tel Itzh’ak sur l’autel, alors que son père allait l’immoler, prêt à être sacrifié, le bélier vint le remplacer, ainsi tout sacrifice d’Israël. Sans cette préparation psychologique, cette acceptation spirituelle, le sacrifice n’a aucune valeur, il n’est qu’un acte banal et extérieur qui non seulement n’a aucune utilité, mais plus encore, nuit. En effet, l’homme se pense - par erreur - exempt de toute responsabilité personnelle à se rapprocher lui-même de D’ dans sa vie. D’ ne veut pas d’offrandes insignifiantes, de liturgies utilitaristes. Plus important encore que le sacrifice lui-même est celui qui l’offre [cf. le comm. du Rav S.R. Hirsch sur la parasha].


Le rôle du kohen est d’approcher l’offrant à son Créateur par le biais du sacrifice [7].

Son exemple personnel et son degré spirituel et moral représentent finalement la possibilité d’élever l’offrant et faire régner en lui un esprit de pureté et de sainteté ; lorsque ces qualités ne sont pas telles, elles amènent inévitablement à une détérioration de l’offrant.


En résumé, le kohen ne doit pas seulement porter des vêtements de sainteté et de pureté, ceux-ci doivent plutôt révéler des qualités qui sont présentes en lui. Si ça n’est pas le cas, l’habit (beged) devient trahison (begida) et la robe (me’il) devient une aliénation (mé’ila) de la confiance et de l’espérance des qualités requises.

Cette intégrité requise entre l’homme et son apparence, son vêtement, comme exemple permettant d’élever autrui, de lui permettre de rencontrer un Autre - entouré de sainteté et de pureté - lui montrer une voie nouvelle constitue un rôle des plus importants [8].



Des habits lumineux


La parasha des habits du prêtre s’ouvre sur le rôle du kohen : allumer le « luminaire, afin d’alimenter les lampes en permanence »[9].


L’intention du verset n’est pas uniquement d’allumer la bougie située dans la ménorah, mais également d’allumer la bougie qui est dans l’âme du kohen et par sa force alimenter de la lumière dans les âmes du peuple Juif. Seul un prêtre qui est une lueur et se luit à lui-même peut « allumer » d’autres âmes. C'est peut-être une allusion aux habits d'Adam : koutnot or - vêtements de lumière…


Le but des vêtements du kohen est donc de les sanctifier et d’élever la flamme de leur âme. S’habiller, c’est se compléter, s’ajouter la protection qui nous manque. De la même manière que tout habit a pour but de masquer la laideur et embellir l’homme, de lui attribuer un statut (social), tels les habits du roi qui lui sont spécifiques, ainsi les vêtements du kohen remplissent et complètent son âme. Lorsque ces habits et lui deviennent uns, dit le prophète Zacharie [10] :

« Puis il me fit voir le grand-prêtre Josué debout devant l’ange de l’Eternel… Celui-ci s’écria […] : “Enlevez-lui ces vêtements souillés !“. Puis il lui dit : “Vois, je te débarasse de tes pêchés, en te faisant vêtir d’habits de prix » … Ainsi parle l’Eternel Tzeva’ot : “si tu marches dans mes voies, si tu suis mon observance et que tu gouvernes bien Ma maison et gardes avec soin Mes parvis, je te donnerai accès parmi ceux qui sont là debout[11]“ ».

Puisque tout le peuple d’Israël est considéré comme prêtre pour les nations, puissions-nous tous connaître ce degré de pureté et de sainteté, et voir ainsi rapidement la construction de notre Temple. Amen.



[1] Psaumes 104:2

[2] Psaumes 36:8

[3] cf. Emek Davar du Natziv sur Chemot 28 :2

[4] Chemot 28 :3

[5] T.B. Sanhédrin 83b

[6] T.B. Erkhin 16a

[7] cf. l’art. du Rav Y.D. Soloveitchik sur les rôles du kohen, dans Divrei Hashkafa, Jérusalem, 1993

[8] cf. Guide des Egarés III, chap. 37 et 47

[9] Chemot 27:20

[10] 3:4-7

[11] C’est-à-dire les anges.

Parashat Toldot

Parashat Toldot

Notre parasha nous relate la vie de notre Patriarche Itzh'ak, sa manière de continuer la voie de son père, Avraham auquel il ressemble [cf. Rashi 25:19, Bereshit Rabba, ibid.], puis ses engendrements - les (faux?) jumeaux : Essav et Ya'akov. Ancêtres de deux Peuples plutôt antithétiques et ce, durant des siècles. On nous raconte également leur péripéties, et leur nature divergente : Ya'akov, le plus jeune homme simple, est assis sous les tentes, alors qu'Essav est un homme à grande faim, toujours prêt à la chasse tant des animaux que des femmes [cf. T.B. Baba Bathra 16b et Rashi 26:34] dès le plus jeune âge. En effet, la vente du pain et du plat de lentilles en échange du droit d'aînesse se produisit à la mort d'Avraham, puisque ledit plat constituait le repas des endeuillés que Ya'akov préparait [ibid.] alors que les deux jeunes avaient juste quinze ans…
Le passage relatif à la vente par 'Essav de son droit d'aînesse est rapporté dans la Tora en ces termes :
"Et Ya'akov donna à Essav du pain et du potage de lentilles, il mangea et il but, il se leva et il partit, et Essav dédaigna le droit d'aînesse." (Bereshit 25:34)

L'ordre précis des derniers mots dans notre verset est plein d'enseignements. Au début de la vente, on peut encore juger Essav de manière favorable il était fatigué et tellement affamé que, en raison du danger que constituait son énorme faim, il fut obligé de conclure cette vente ; en revanche, il n'avait jamais eu l'intention de dédaigner le droit d'aînesse ou d'en rabaisser la valeur. Mais à partir du moment où il a déjà mangé et qu'il a déjà étanché sa soif, il est maintenant logique qu'il élève sa voix pleine de regrets et de tristesse: "j'y étais contraint et forcé et je regrette toute cette vente!".
Au contraire, il est écrit: "il mangea et il but, il se leva et il partit". Il s'est levé et est parti en silence, avec satisfaction, comme si rien ne s'était passé.
C'est à ce moment-là qu'il nous apparaît qu'Essav dédaigna le droit d'aînesse. Il nous apparaît que l'acte même de la vente ne provenait pas de la faim, mais d'une attitude d'outrage et de mépris envers le droit d'aînesse qui n'avait aucune valeur à ses yeux.

Puis vient l'épisode de la bénédiction. Itzh'ak se fait vieux, il avait déjà perdu la vue et veux bénir son fils Essav, du moins c'est ce qu'il lui dit. Celui-ci doit, en contrepartie, lui préparer une viande chassée, telle qu'il l'aime. Rivka - au courant, alerte Ya'akov et prépare deux agneaux pris par Ya'akov du bétail, habille son fils des habits d'Essav, son frère et lui dit de se présenter devant Itzh'ak pour demander sa bénédiction.
Quel est le but de tout cette trame?
Itzh'ak était-il au courant de ce qui se passait sous son toit?
Les avis des commentateurs divergent sur ces questions.

En tout cas, il est écrit que Ya'akov a dit à sa mère, Rivka : "Si par hasard mon père me tâte, je serai à ses yeux comme un trompeur, et, au lieu de bénédiction, c'est une malédiction que j'aurai attirée sur moi" (Bereshit 27:12). Il avait peur que son père s'aperçoive que cet octroi n'était pas justifié.

Le Ramban [ibid.] demande pourquoi Ya'akov n'a-t-il pas craint que son père le reconnaisse à sa voix, même sans toucher ; en effet, il est de règle qu'un aveugle et également le reste des hommes sont permis à leur femme respective durant la nuit, car il y a une reconnaissance vocale et cela suffit [cf. T.B. H'oulin 96a].

Nah'manide répond qu'il est possible que les deux frères avaient une voix similaire, ainsi nos Sages nous enseignent [Bereshit Rabba 65, 19] que le verset explicitant "la voix de Ya'akov" nous parle non pas de sa voix, telle qu'elle est entendue, mais de ses propos, il parlait de manière douce et agréable, en rappelant le nom Divin.
Peut-être, dit-il encore, comme deuxième possibilité, a-t-il modifié sa voix afin qu'elle ressemble à celle de son frère.

Nous apprenons du Ramban deux choses :

1. Il faut parler avec chacun de manière douce, ne pas crier, symbole de force intérieure, en rappelant le nom Divin, Le liant à nos paroles, afin de les élever [cf. Ohev Israël du Rav A.Y. Heshel MeApta au nom de Rav Nah'man Kassavir sur le verset ; comm. du Gaon de Vilna sur Proverbes 13:18 ; les propos du Ramban à son fils dans sa lettre, sur le fait de parler avec douceur].

2. Il faut savoir distinguer le paraître de l'être. Souvent la limite est très fine.
Cela a été expliqué littéralement par le rav S.R. Hirsch affirmant que Ya'akov et Essav sont des jumeaux qui se ressemblent surtout extérieurement, c'est à dire dans leur paraître.
Alors comment expliquer le terme Admoni (roux - Bereshit 25:25) ?

Le Baal Hatourim précise que Essav était couvert du sang de la matrice de Rivka qui a saigné de façon abondante au moment de sa naissance, punition “à la mesure” de ses plaintes. D’autres commentateurs expliquent qu’il est marqué qu’Essav est roux pour nous dire qu'il est sanguinaire et va verser du sang, mais cela n'a rien à voir avec son apparence.
Nous voyons donc que même s'ils se ressemblaient extérieurement, ce qui les distinguait, comme le souligne le midrash cité par le Ramban, c'est l'essence, ce qu'ils disent. Essav pleure et s'énerve.

Un message tant moral que philosophique.
Il faut savoir parler convenablement et s'occuper de choses essentielles, tel que le fait Ya'akov, l'érudit assis dans les tentes atteignant la plénitude - seulement ainsi on peut mériter la bénédiction. Itzh'ak, bien qu'aveugle, sait différencier de ces choses. Quand il voit qu'Essav n'a pas atteint ce niveau spirituel et moral, il ne lui dit pas qu'il a une deuxième bénédiction "dans son sac", celle d'Avraham, l'héritage de la Terre d'Israël, Itzh'ak était pourtant sous une pression psychologique aiguë. Il lui invente une nouvelle bénédiction.

C'est seulement plus tard qu'il la donnera à Ya'akov (Bereshit 28:4) [cf. à ce propos Midrash Ariel du Rav Itzh'ak Arieli, auteur d'Einayim LaMishpat, ibid.].Itzh'ak était en effet plus lié à la Terre d'Israël que le reste des Patriarches, il n'en est jamais sorti [cf. H'essed L'Avraham du Rav Avraham Azoulai, grand-père du H'ida, Mayan 3, Nahar 14], de plus nous dit le Rav Moshe Y.Tzouriel [Drishat Tzion, p.28], l'acrostiche du nom d'Itzh'ak constitue tous les noms de la Terre d'Israël :
I
- eretz Israël.
Tz - eretz Tzvi (Terre de Finesse et de Noblesse [=comme la gazelle]).
H' - eretz H'emda (Terre Désirée).
aK - eretz haKodesh (Terre Sainte).


Puissions-nous mériter de tous ces degrés et des bénédictions données à notre Ancêtre, tant celle de la Terre que celle de la descendance.