Parashat Tetzavé
L’habit fait le prêtre ?
Notre parasha continue la précédente concernant le sanctuaire construit dans le désert (mishkan) et précise la nature des vêtements des prêtres, des kohanim, de leur sacerdoce et responsabilités, puis du devoir de construire un autel pour la combustion des parfums.
C’est la vie ou l’habit ?
Parfois, les vêtements sont définis par l’homme, alors que d’autres, ils le définissent.
Les habits que l’homme crée sont le symbole de la civilisation humaine. Ils préservent le corps du froid et autres dégâts. Ils l’ornent et sont insignes de majesté. Ils rendent unique son statut, son travail et son rôle. Sans eux, l’homme ressemble à un animal sauvage, primitif.
Toutefois, au delà de ce degré, il en est un autre : des habits qui font l’homme. Ils changent sa personnalité, l’améliore ou au contraire la détériore. Par exemple, le fait de revêtir un costume militaire change automatiquement le comportement, tantôt pour le mieux, tantôt pour le pire et parfois un peu des deux mélangés. Lorsqu’un juif s’habille, le matin, de ses tzitzit - et s’identifie de toute son âme avec cet acte et sait le considérer à sa juste valeur – il ressent qu’il ne s’agit pas uniquement d’un acte physique, mais également d’un acte spirituel : son âme aussi se revêt de lumière Divine qui commence même à se propager sur la Terre et ses habitants.
«Tu T’enveloppes de lumière comme d’un manteau, tu déploies les cieux comme une tenture»[1].L’homme s’enveloppe, d’une certaine manière, de “l’ombre des ailes“ de la Présence Divine, tel un oisillon dans son nid, au-dessus duquel survole l’aigle protecteur de tout ennemi potentiel non seulement physique, mais surtout psychologique.
« Combien précieuse est ta grâce, ô D’ ! Les fils de l’homme s’abritent à l’ombre de tes ailes » [2].
L’offrant et l’offrande
Les habits des kohanim ont moins pour but la particularité de marquer leur identité et leur rôle [3], ils ne sont pas uniquement insignes extérieurs d’honneur et de majesté aux yeux du prochain, que de marquer principalement un but supérieur : « afin de le consacrer à mon sacerdoce »[4].
Les vêtements les sanctifient, ils les rendent prêtres, les définissent comme kohanim. Sans ceux-ci, ils sont considérés comme inaptes au service et comme étrangers. « Leurs habits ne sont pas sur eux, leur prêtrise n’est pas sur eux »[5]. Plus encore, les vêtements mêmes ont un but cathartique tout autant que les sacrifices, tel que l’exprime le Talmud [6] :
« Rabbi Anani fils de Sasson dit : … de la même manière que les sacrifices expient, ainsi les habits des prêtres expient. La tunique à maille expie le versement de sang… les pantalons, l’adultère… la tiare expie les grossiers… l’écharpe, les pensées [interdites] du cœur… le pectoral, les jugements [erronés]… l’éphod expie l’idolâtrie… la robe, la médisance… la plaque d’or expie les actes “culotés“ ».
Comment ça marche ?
L’idée principale est que l’offrande rapproche l’homme de D’. Le sacrifice (korban) vient de la racine hébraïque rapprocher (lekarev). L’homme doit se sacrifier, se sanctifier, tel Itzh’ak sur l’autel, alors que son père allait l’immoler, prêt à être sacrifié, le bélier vint le remplacer, ainsi tout sacrifice d’Israël. Sans cette préparation psychologique, cette acceptation spirituelle, le sacrifice n’a aucune valeur, il n’est qu’un acte banal et extérieur qui non seulement n’a aucune utilité, mais plus encore, nuit. En effet, l’homme se pense - par erreur - exempt de toute responsabilité personnelle à se rapprocher lui-même de D’ dans sa vie. D’ ne veut pas d’offrandes insignifiantes, de liturgies utilitaristes. Plus important encore que le sacrifice lui-même est celui qui l’offre [cf. le comm. du Rav S.R. Hirsch sur la parasha].
Le rôle du kohen est d’approcher l’offrant à son Créateur par le biais du sacrifice [7].
Son exemple personnel et son degré spirituel et moral représentent finalement la possibilité d’élever l’offrant et faire régner en lui un esprit de pureté et de sainteté ; lorsque ces qualités ne sont pas telles, elles amènent inévitablement à une détérioration de l’offrant.
En résumé, le kohen ne doit pas seulement porter des vêtements de sainteté et de pureté, ceux-ci doivent plutôt révéler des qualités qui sont présentes en lui. Si ça n’est pas le cas, l’habit (beged) devient trahison (begida) et la robe (me’il) devient une aliénation (mé’ila) de la confiance et de l’espérance des qualités requises.
Cette intégrité requise entre l’homme et son apparence, son vêtement, comme exemple permettant d’élever autrui, de lui permettre de rencontrer un Autre - entouré de sainteté et de pureté - lui montrer une voie nouvelle constitue un rôle des plus importants [8].
Des habits lumineux
La parasha des habits du prêtre s’ouvre sur le rôle du kohen : allumer le « luminaire, afin d’alimenter les lampes en permanence »[9].
L’intention du verset n’est pas uniquement d’allumer la bougie située dans la ménorah, mais également d’allumer la bougie qui est dans l’âme du kohen et par sa force alimenter de la lumière dans les âmes du peuple Juif. Seul un prêtre qui est une lueur et se luit à lui-même peut « allumer » d’autres âmes. C'est peut-être une allusion aux habits d'Adam : koutnot or - vêtements de lumière…
Le but des vêtements du kohen est donc de les sanctifier et d’élever la flamme de leur âme. S’habiller, c’est se compléter, s’ajouter la protection qui nous manque. De la même manière que tout habit a pour but de masquer la laideur et embellir l’homme, de lui attribuer un statut (social), tels les habits du roi qui lui sont spécifiques, ainsi les vêtements du kohen remplissent et complètent son âme. Lorsque ces habits et lui deviennent uns, dit le prophète Zacharie [10] :
« Puis il me fit voir le grand-prêtre Josué debout devant l’ange de l’Eternel… Celui-ci s’écria […] : “Enlevez-lui ces vêtements souillés !“. Puis il lui dit : “Vois, je te débarasse de tes pêchés, en te faisant vêtir d’habits de prix » … Ainsi parle l’Eternel Tzeva’ot : “si tu marches dans mes voies, si tu suis mon observance et que tu gouvernes bien Ma maison et gardes avec soin Mes parvis, je te donnerai accès parmi ceux qui sont là debout[11]“ ».
Puisque tout le peuple d’Israël est considéré comme prêtre pour les nations, puissions-nous tous connaître ce degré de pureté et de sainteté, et voir ainsi rapidement la construction de notre Temple. Amen.
[1] Psaumes 104:2
[2] Psaumes 36:8
[3] cf. Emek Davar du Natziv sur Chemot 28 :2
[4] Chemot 28 :3
[5] T.B. Sanhédrin 83b
[6] T.B. Erkhin 16a
[7] cf. l’art. du Rav Y.D. Soloveitchik sur les rôles du kohen, dans Divrei Hashkafa, Jérusalem, 1993
[8] cf. Guide des Egarés III, chap. 37 et 47
[9] Chemot 27:20
[10] 3:4-7
[11] C’est-à-dire les anges.