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20/12/2009

H'anuka

Rabbi Tzadok HaCohen de Lublin écrit dans son "Pri Tzaddik" sur H'anuka que nous fêtons la victoire sur Aristote qui est "l'écorce" (klipa) antithétique à la Torah Orale. Il continue la voie déjà tracée par le Maharal de Prague dans son célèbre "Ner Mitzva" qui soulignait le fait qu'il ne s'agissait pas d'une simple victoire, mais bien d'une lutte de civilisations.
Pour comprendre cela, je propose d'aller faire un tour du côté de la philosophie aristotélicienne, voir de quoi il s'agit…

La philosophie aristotélicienne[1]

La philosophie hellène, en particulier aristotélicienne, bénéficia d’un crédit extraordinaire au cours de l’histoire. Ainsi, elle devint mère de la pensée occidentale pendant une période notoire[2]. De la sorte, Aristote hérita du titre de « philosophe par excellence », étant le seul à pouvoir expliquer le plus largement possible les phénomènes naturels, métaphysiques, éthiques, etc.


La « vérité »

A cette époque, le critère de validité d’une théorie est qu’elle ne put être logiquement repoussée. Par conséquent, toute théorie logiquement prouvée est valide tant qu’elle est irréfutée. Une condition supplémentaire s’impose : ce même paradigme hypothétique doit – théoriquement pour le moins – pouvoir édifier une science traduisant l’ensemble des phénomènes en une vision rationnelle et cohérente.

Aristote, avec génie, y parvint, il recouvra tous les recoins du savoir humain, au point où il en était alors. Les recherches scientifiques d’autrefois étaient dénués de toute méthode systématique, malgré cela, Aristote fit preuve d’un fin esprit analytique, ainsi que d’une précision sans précédent dans ses observations.


La causalité comme théorie

Pour « le philosophe », reprenant la théorie des quatre éléments (eau, air, feu, terre), les objets inanimés sont doués d’une “volonté“ – leur nature ou « essence ». La preuve en est claire, étant donné que tout ce qui est mis en mouvement doit être mû par une force extérieure (puisque l’objet est inanimé), alors il doit nécessairement exister une force qui pousse l’objet en mouvement : c’est le désir de la flèche de revenir au sol, sa place naturelle, sinon celle-ci continuerait à l’infini, tout comme la vache veut rentrer à son étable, ou le cheval à son écurie.

Mais cela n’est pas tout, continuons cette logique un pas plus loin. Si tout ce se meut doit être mû, c’est qu’il y a une cause à ce mouvement. Ainsi, tout effet, action ou phénomène est provoqué par une cause, c’est ce qu’on appelle la causalité. Mais comme celle-ci ne peut pas constituer une chaîne infinie, il devient nécessaire de définir un Moteur premier, la Cause en-soi, cause de toutes les causes, immobile puisque première, bref, éternel, sans nature ou « essence », qui met en mouvement sans en être affecté. Cette cause en-soi ne peut survenir aucun changement, faisant ainsi son éternelle immobilité. De même, son immatérialité est prouvée par le fait que la matière est soumise au changement, étant donné sa sensibilité au mouvement - limité au matériel.

Jusqu’ici, l’identification de la cause en-soi avec D’ieu ne pose aucun problème. Toutefois, après un développement plus poussé de cette théorie de la phénoménalité, on se rendra compte de certaines problématiques plutôt dérangeantes.


Le miracle – ou le rejet de la phénoménalité

Le Rambam (Maïmonide) écrit dans son Guide des Egarés (II, 25)[3] :

La foi en la “phénoménalité“ telle que la voit Aristote, qui est obligée, qu’aucune essence ne subisse de changement et qu’aucun objet ne change son habitude, sépare la Torah de son essentiel et nie inévitablement tout miracle en plus d’annuler tout ce qui est promis par la Torah ou est menacé [de châtiment]. Hormis si tu interprètes les miracles tels les mystiques musulmans […] sache qu’avec la foi au renouveau (h’idoush) du monde, les miracles sont tous possibles et la Torah devient possible.

Maïmonide nous indique ici clairement quels sont les problèmes[4] : la possibilité du miracle, la Providence divine (hashgah’a), ainsi que le créationnisme s’opposant radicalement à cette vision de l’éternité de la matière.

En effet, selon Aristote, un D’ieu immatériel et immobile ne peut créer ou faire surgir la matière, car cette hypothèse suppose un changement dans la substance divine, chose logiquement exclue, comme expliqué précédemment. Par conséquent, la seule réponse possible à l’origine de la matière est que celle-ci est éternelle. Il s’en ensuit qu’il ne peut guère y avoir ni de création et donc de Créateur, ni de miracle « transformant » l’ordre naturel – en fin de compte matériel – et donc éternel et insensible au changement, ou alors c’est que le miracle est une illusion et pas vraiment un changement ! Dans les termes de Maïmonide ce sont les « mystiques musulmans »[5].

« Figé dans son immobilité, le D’ieu d’Aristote n’a finalement aucune emprise sur le monde. »[6]

Ainsi, nous voyons que la croyance en la possibilité du miracle permet de contredire la vision aristotélicienne du monde et nous oblige donc à voir une main créatrice. Il n’y a guère plus de hasard, malgré l’ordre naturel - la main Divine survient.

« H’anouka » est donc la célébration du miracle, de ce dépassement de la nature[7]. Signifiant qu’on n’est point limité à la seule matière ou la singularité de son étant, mais plutôt à une quête de transcendance dans l’immanence éprouvée dans la matière. Tel dépassement sous-tend non seulement la possibilité d’une force transcendante, mais également la possibilité de s’en rapprocher !


Conclusion

En d'autres termes, l'origine même de la matière est la spiritualité et non pas le contraire. Et là réside le danger de la culture grecque : adopter ce point de vue à force d'user de leur technologie, de leurs valeurs, de leur éthique et esthétique, etc. !

C'est cela faire rentrer "la beauté de Yaffèt dans les tentes de Shem", savoir quoi et comment l'utiliser, selon les valeurs de nos Sages explicitées dans la Torah Orale. C'est ainsi que H'anuka est véritablement le renouvellement de la Torah Orale, même au niveau historique (gzeira sur le verre, etc., puis les enseignements suscités…).

Nous comprenons maintenant mieux les propos de Rabbi Tzadok !



[1] Basé sur :

J. F. Revel, Histoire de la philosophie occidentale, Stock, Paris 1968

B. Russel, L’aventure de la pensée occidentale, Hachette, Paris, 1961

J. Brun, Aristote et le Lycée, P.U.F., Paris, 1961

[2] Cf. à ce propos l’exclamation de Candide sur la philosophie, in Candide de Voltaire.

[3] Traduction libre.

[4] Cf. également : Maharal de Prague, Guevourot H’, début de la seconde introduction s.v. vehineh

Ramban (Nachmanide), Torat H’ Temima, 146-147, s.v. venitbarer

[5] Il semblerait s’agir d’une secte extrémiste de l’islam qui voyait, non seulement dans le Coran, mais également dans la réalité, une signification symbolique et allégorique (cf. Encyclopédie de l’Islam, I, pp. 1098-1100 (M.G.S. Hodgson), ainsi que IV, pp. 198-206 (W. Madelung) ramenés par M. Schwarz, Moreh Nevouh’im, tome I, p. 342, note 9.

[6] H. Infeld, La Torah et les sciences ou mille années de controverses, Gallia, Jérusalem, 1991

[7] La Nature est généralement symbolisée par le chiffre sept (semaine, Création, Menorah, etc.), alors que H’anouka, c’est le huit (bougie, la lettre h’èt, etc.) – cf. Maharal, Ner Mitzva, …

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