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16/07/2010

9 Av

Tich’a Beav – Le 9 Av

Le Jour des Lamentations

Ticha’a Beav est un jour « prédéstiné au châtiment ».

Ce déterminisme fatal n’en est pas vraiment un, il provient de nos fautes et à nous de le réparer.

Nos Sages, dans le Talmud nous ont enseigné plusieurs principes :

- Premièrement, le premier Temple a été détruit à cause de trois fautes : l’idolâtrie, l’inceste et le versement de sang [1] ; alors que le deuxième Temple le fut à cause de la haine gratuite (sinat h’inam)[2]

- Deuxièmement, tant que le Temple n’est pas reconstruit, c’est comme s’il venait d’être détruit [3].
Moralité : c’est à nous que la tâche incombe de réparer les ustensiles brisés, et des cendres faire renaître notre Maison - le Temple.

Le Rav Avraham Itzh’ak HaCohen Kook écrit : « si nous avons été détruits et le monde a été détruit avec nous [4], à cause de la haine gratuite, nous devons nous reconstruire et le monde se reconstruira avec nous grâce à l’amour gratuit [5] »[6]. A nous de réparer ce que nous avons détruit en changeant notre comportement, justement dans ces jours où l’on doit ajouter de la Kedousha, de la Sainteté.

Pour cela, nous devons d’abord comprendre ce qui s’est passé en ce jour.

Le Rambam (Maïmonide) dans son Mishné Torah reprend le Talmud [7] qui nous enseigne :
“Cinq événements tragiques se sont produits à Tich’a Beav :
1. Les Juifs, dans le désert, se virent refuser l’entrée en Terre Sainte [8]
2. Destruction du premier Temple [9]
3. Destruction du deuxième Temple [10]
4. Conquête de la forteresse de Bétar… Cette citadelle tomba aux mains des Romains et tous ses habitants furent exécutés ; ce fut une tragédie comparable à la destruction du Temple.[11]
5. Le mécréant Turnus-Rufus laboura l’aire du Temple et ses alentours, réalisant ainsi la parole du prophète (Jérémie 26,18) : «Sion sera labourée comme un champ»“

Rambam, Hilkhot Ta’anit 5, 3

Malheureusement, la liste n’est pas close, Tich’a Beav 1492 a été rude pour les Juifs espagnols qui de « l’âge d’or » passaient à un régime plus strict : le choix entre la conversion et l’émigration – ou la torture et les autodafés. Don Isaac Abrabanel raconte dans son commentaire sur la Torah, comment il est passé de ministre des Finances de la Péninsule Ibérique, considéré alors comme un roi, au statut de rejeté, abandonné, seul et dont la famille a été décimée. Il raconte son exil et son seder de Pessah’ seul sur le bord d’une plage…

Ça ne s’en termine malheureusement pas là, la 1ère Guerre Mondiale a commencé le jour de Tich’a Beav, et c’est elle, on peut le dire qui a engendré d’une certaine manière la Seconde Guerre Mondiale, la Shoah, l’Holocauste. Sans parler des nombreux pogrommes qui ont eu lieu ce même jour. A travers l’histoire entière du peuple Juif, le jour de Tich’a Beav n’a jamais été qu’un «mauvais jour» .

Toutefois, nous avons de l’espoir et celui-ci nous maintient en vie.
Le Talmud[12] nous raconte la fameuse histoire de Rabbi Akiva qui, en voyant un renard sur le Saint des Saints, riait, alors que ses confrères, docteurs de la Loi (Rabban Gamliel, Rabbi El’azar ben Azarya et Rabbi Yehoshoua), quant à eux, pleuraient.
Eux lui demandent, pourquoi ries-tu ? Il leur répond, pourquoi pleurez-vous ? Ils rétorquent : “ne vois-tu pas la profanation du Nom Divin, un renard[13] rentre dans le Kodesh HaKodashim (le Saint des Saints), alors qu’il est écrit (Bamidbar 1) « tout étranger s’approchant mourra » ! “

Akiva répond alors, c’est pour cela exactement que je ris ! En effet, le prophète Isaïe (chap. 8) ne précise-t-il pas qu’il a deux témoins de confiance Ouriah le Cohen et Zacharie fils de Yevarh’yaou ? Et quel lien y a-t-il entre ces deux hommes, l’un vécut à l’époque du premier Temple, alors que le second au temps du deuxième… ?
Seulement, le texte veut nous apprendre que la prophétie de l’un est liée à celle du second. Le premier dit « à cause de vous Sion comme un champ se laboure » (Micha, 3:12), alors que le second souligne (Zacharie, chap. 8) : « les vieux et les vieilles s’assoieront encore dans les rues de Jérusalem ».
J’ai craint, dit Rabbi Akiva, que ne s’applique pas la prophétie de Zacharie, mais maintenant que je vois la réalisation de celle d’Ouriah, je suis assuré que la seconde se réalisera en ces termes. Ils lui répondirent « tu nous as consolé Akiva, tu nous as consolé ».

On peut dire ainsi, de la même manière que la première partie de la prophétie de Jérémie s’est réalisée [14], ainsi la deuxième partie, c’est-à-dire le reconstruction du Temple (le 3ème), se réalisera [15] !

Toutefois, il est là un élément étonnant : Rabbi Akiva ne croyait-il pas en la prophétie avant qu’elle ne se réalise ?! Et si elle ne se réalisait, n’aurait-il cru ni à l’une, ni à l’autre ?

En fait, la vision de Rabbi Akiva est bien plus profonde que cela. Il pensait que ces deux prophéties n’étaient pas nécessairement liées l’une à l’autre, mais là, il voit au sein même de la destruction – la reconstruction, la résurrection. La fin d’une époque constitue le commencement d’une période, d’un processus, Rabbi Akiva le voit déjà. La destruction n’est pas un événement en soi, mais plutôt la marque d’un changement, d’un passage d’un processus d’exil à celui de la rédemption.

Le Midrash [16] raconte :
« le jour où sont rentrés les ennemis dans la ville et ont détruit le Temple, un homme, vivant au dehors de Jérusalem, labourait son champs. [Subitement] sa vache se jeta au sol, elle ne voulait plus labourer… Il entendit alors une voix : “que veux-tu de la vache ? Lâche-la, car elle pleure la destruction du Bayit (de la Maison) et du Mikdash (Lieu Saint) qui a été brûlé aujourd’hui“.
Entendant cela, l’homme déchira son vêtement, s’arracha ses cheveux, cria et mit de la cendre sur sa tête, il pleura et dit : “malheur à moi ! malheur à moi !“
Après deux ou trois heures, la vache se releva, puis se mit à danser, à se réjouir. L’homme s’étonna grandement. [Une fois encore,] il entendit une voix disant : laboure et travaille ton champs, car en cette même heure est né la mashiah’ (Messie)».

Le jour de la destruction est le jour même de la délivrance – fait plutôt remarquable !
Il nous appartient de signaler ici la signification de ce jour sombre moins comme le souvenir d’un événement historique spécifique, mais plus comme une vision globale transcendante d’un point de chute spirituelle.
Ce même point devient par la suite source d’une renaissance rédemptoire, peut-être salutaire. C’est d’une part, comme nous l’avons vu chez Rabbi Akiva, une vérité historique non-factuelle, mais plutôt essentielle, alors que d’autre part il s’agit bel et bien d’un acte spirituel qui agit le même jour – la naissance du messie se fait au moment de la destruction du Temple. Ce passage subit du deuil, non pas à la joie, comme cela aurait été espéré par le récit narratif du midrash, mais à la continuation de la vie, du travail constitue une préparation à ce repos espéré, à cette rédemption. Cela ne tombe pas du Ciel.

Les annonces viennent d’En-Haut, le travail, la réparation reste à accomplir ici-bas.


Puissions-nous réparer et mériter ainsi que voir la Délivrance, pleine et entière, que le 9 Av soit cette année un jour de joie pour tout le Peuple!
Amen.


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[1] Cf. Talmud Bavli, Yoma 9b ; il est à noter que dans Jérémie (9, 11-12), qu’on lit comme Haftara à Tich’a Beav, il est dit que la Terre a été « perdue » et s’est désertifiée parce que le peuple a abandonné la Torah de D’… et la Talmud de commenter (Nedarim 81a) “« l’abandon de la Torah » – parce qu’ils n’ont pas commencé par la bénir“ (shelo birkhu batorah tkhila). On voit donc l’importance capitale de la Torah qui fixe les limites d’Israël et la Halakha, indispensable comme l’eau, et ne pas la bénir, c’est porter atteinte à sa valeur, vouloir réformer la particularité d’Israël, comme corps, Terre et âme (cf. Rav Yaakov Ariel, MeOhalei Torah sur la Torah et les Fêtes, p. 341-2).

[2] Qui est pire que l’idolâtrie et qui est « comme tuer quelqu’un » (Kala Rabati 5,1), le Talmud Bavli (Yoma 9b) va encore plus loin : à l’époque du premier Temple, la Torah et les bonnes actions ont été plutôt « délaissées », alors que ce ne fut pas le cas lors du deuxième Temple, “pour nous enseigner, nous dit le Talmud, que la haine gratuite [malgré les bonnes actions et l’étude qu’il y avait au temps du deuxième Temple] a la même valeur que toute les fautes citées comme « causes» de la première destruction ! cf. aussi Otzar HaMidrashim, ch. 17, p. 80, éd. Eisenstein et Pitron Torah, paracha « Zot Thyieh », p. 45 : « deux choses ont détruit le Temple, la haine gratuite (sinat h’inam) et la médisance (lashon hara) et à cause de celles-ci, il n’est toujours pas reconstruit… ».

[3] cf. Talmud Yeroushalmi Yoma 38c, ch. 1, hal. 1

[4] Le monde a occidental a été influencé par le judaïsme (l’islam, le christianisme en sont notamment la preuve), toutefois c’était par un judaïsme en pleine crise à chaque fois et par des Juifs ayant quelques problèmes identitaires, par conséquent, au moment de la réparation, dit le Rav Kook, le monde devrait se réparer également, par son rapprochement dialectique envers la shkhina, la Présence Divine.

[5] J’ai vu au nom du Rav Neventzal shlit“a que l’amour « gratuit » ça n’existait pas, soit on a l’obligation d’aimer, soit on ne l’a pas, et on a l’obligation d’aimer le peuple d’Israël, pourtant, je pense qu’il ne parlait qu’au niveau de l’obligation et pas de ce qui était au-delà, l’ajout qui, lui, n’est pas nécessaire et dépend de la volonté, ainsi il est «gratuit », parce qu’on fait mieux que ce qu’ont doit faire.

[6] Orot Hakodesh 3, 324

[7] Talmud Bavli, Ta’anit 26b, 29a

[8] « Rabbi Yoh’anan dit que cet événement se produisit la veille du Neuf Av. Le Saint béni soit-Il prononça alors Sa sentence : “Vous avez pleuré pour rien ; J’instaurerai à cette date une journée de lamentations pour les générations“ » (Talmud Bavli, Ta’anit 28b).

[9] cf. la démonstration du Talmud Bavli (Ta’anit 29a) à partir des Ecritures.

[10] Le Talmud (ibid.) se demande alors comment connaître la date exacte, le jour, de la destruction du deuxième Temple (n.b. nous notons deuxième et non pas second qui sous-tend une finalité). Et celui-ci de répondre : « C’est que nous savons bien que les événements heureux sont réservés au jour de faveur et les jours de calamité au jour de culpabilité » (ibid.).

[11] cf. Talmud Yeroushalmi, Ta’anit 69a, chap. 4, hal. 5

[12] Talmud Bavli, Makot 24b

[13] Qui est un animal impur !

[14] Comme il est écrit : « al har tzion sheshamem shoualim yeleh’ou bo […], lama lanetzah’ tishkah’einou, ta’azveinou le’oreh’ yamim …» (“Pour le mont Sion qui s’étend, désolé ; les renards y rôdent […] pourquoi nous ignores-Tu pour toujours, nous abandonnes Tu si longtemps“)

[15] Comme il est dit : « ashivenou H’ eleih’a, venashouva ; h’adesh yameinou kekedem » (“Reviens vers nous D. et nous reviendrons vers toi ; renouvelle pour nous les jours d’autrefois“).

[16] Eikha Zouta, 1

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